"Dérives du dressage moderne"
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Mon Colonel,
Merci beaucoup pour votre réponse que j’ai lue avec le plus grand intérêt et la plus grande attention comme vous pouvez le supposer. En fait j’ai eu maintes fois l’occasion d’évoquer ce problème avec Jean d’ORGEIX, sujet équestre que je considérais à la fois passionnant et fondamental. C’est d’ailleurs suite à une de ces conversations que Jean d’ORGEIX a décidé d’écrire son avant dernier livre « Les mains et autres non-dits de l’équitation » afin de tenter de clarifier ce concept concernant la tenue et l’action du cavalier sur les rênes, qu’il considérait comme tout à fait primordial.
Aussi vais-je essayer d’imaginer quelle aurait pu être sa réponse à partir d’une part, de l’argumentaire qu’il avait développé lors de nos conversations et, d’autre part, de ma modeste expérience après avoir mis en œuvre les principes qu’il suggérait.
Je comprends d’ailleurs mieux maintenant la raison pour laquelle, à mon grand étonnement, ce nouveau concept prôné par Jean d’ORGEIX n’avait pas eu l’écho qu’il méritait au sein de l’intelligentsia équestre. La façon dont le cavalier doit tenir ses rênes afin d’optimiser ses moyens d’action est probablement apparu, outre le fait de remettre en cause la sacro-sainte tradition institutionnelle, comme un sujet subalterne et sans importance.
Or Jean d’ORGEIX était totalement d’un avis contraire, considérant que la manière dont le cavalier tenait et agissait sur les rênes était de nature à changer totalement les rapports qu’il pouvait entretenir avec son cheval. Jean d’ORGEIX, comme pour chacun des principes qu’il a préconisés, en a expliqué clairement les raisons :
Il est parfaitement exact qu’une contraction du cavalier situé au niveau de son dos, de ses épaules ou de ses coudes est de nature à altérer la qualité de son équitation. Mais l’immense mérite de Jean d’ORGEIX est d’être le seul, à ma connaissance, à avoir constaté et expliqué que la manière dont le cavalier tenait ses rênes conditionnait directement la rigidité ou la souplesse du reste de son corps, et en particulier des épaules dont le relâchement est fondamental pour pratiquer une équitation de qualité. C’est pour cette raison que Jean d’ORGEIX considérait que le mode de tenue des rênes revêtait une importance considérable.
Le fait de raccourcir ses rênes, les bras avancés ne tombant plus naturellement verticalement, tout comme le fait de tenir les rênes par des mains fermées sur elles, les pouces appuyés pour qu’elles ne puissent glisser (position adoptée par beaucoup de cavalier et actuellement enseignée, il suffit d’aller dans n’importe quel cercle hippique pour s’en convaincre), a pour irrémédiable conséquence le blocage des épaules du cavalier (réalité anatomique incontestable). Il est par conséquent indispensable pour travailler avec les épaules de conserver la main ouverte et le bras vertical tombant naturellement. Or la tenue des rênes préconisée par Jean d’ORGEIX répond parfaitement à ces deux exigences, contrairement à la tenue des rênes traditionnelles couramment pratiquée et enseignée.
Mais l’immense avantage de la tenue des rênes préconisée par Jean d’ORGEIX ne se limite pas à garantir la décontraction du cavalier, loin s’en faut. Avec la tenue des rênes traditionnelle, le cavalier est contraint d’agir vers l’arrière en serrant tout d’abord ses doigts puis, la plupart du temps, en reculant la main, c'est-à-dire qu’il tire ; d’où gros risques de mise en résistance du cheval par le principe action-réaction.
Au contraire, la tenue des rênes et le mode d’action sur les rênes conseillé par Jean d’ORGEIX, quand le cavalier agit, permet d’une part, de conserver la main fixe et, d’autre part, d’exercer une action décontractive sur la bouche du cheval l’incitant à céder dans sa nuque.
Pour les raisons exposées ci-dessus, il faut par conséquent énormément de talent et de tact équestre (c’est le cas des cavaliers de renom), avec la tenue traditionnelle des rênes, pour réussir à éviter la mise en résistance du cheval, en particulier avec un cheval en cours d’éducation dont le dressage n’est pas encore abouti. En revanche, la tenue des rênes préconisée par Jean d’ORGEIX, infiniment plus rationnelle et plus logique, permettrait à la grande majorité des cavaliers d’espérer atteindre rapidement ce même résultat, sans pour autant posséder les dons exceptionnels des grands cavaliers qui leurs servent de modèle.
En ce qui me concerne, montant beaucoup de chevaux entiers chauds et dotés de beaucoup de force, cette avancée technique primordiale a changé ma vie en me permettant de conserver des chevaux décontractés, même dans des conditions extrêmes.
Amicalement vôtre,
Dominique
Dominique, vous éveillé terriblement ma curiosité!
Je ne l'ai lu de Jean d'Orgeix que son dernier livre et attends de recevoir un de ses dvd (traitant de l'usage des mains). Est-il possible d'expliquer en quelques lignes, le principe de cette tenue de rênes?
A cause ou grace à votre intervention, je me suis replongée avec plus d'attention dans les quelques livres de d'Orgeix que j'ai en ma possession, mais surtout dans "une méthode française d'instruction".
A cheval, au pas, après une longue détente, je me suis dis pourquoi pas tester un peu. Je suis restée sur ma faim. J'y réfléchis et j'y retournerai encore au pas un peu plus tard. J'ai apprécié les premiers effets sur le cheval mais aussi sur moi-même: plus de décontraction, surtout au niveau de mes épaules.
Mais je préfère attendre avant de me prononcer, l'effet de surprise une fois estompé.
Dominique,
Nous parlons de la tenue des rênes et vous dénoncez la tenue "réglementaire" génératrice de contractions. Je vous suis à quatre-vingt-dix pour cent.
Il me semble qu'il faut aussi évoquer ici l'importance (d'ailleurs évoquée par JDO, également par Racinet) de savoir modifier la longueur de ses rênes selon les nécessités de l'instant.
Ce dernier point étant mon point faible, çà me faisait plaisir d'en parler.
Amicalement.
CUNNINGHAM écrit:
Il me semble qu'il faut aussi évoquer ici l'importance (d'ailleurs évoquée par JDO, également par Racinet) de savoir modifier la longueur de ses rênes selon les nécessités de l'instant.
C'est ce que Michel Henriquet appelle le "pré-réglage", pour lui, cet ajustement des rênes en fonction de l'exercice est une des clefs pour ne pas tirer à soi. Et est une adaptation (bien souvent en mouvement) de la "position précède l'action."
Il le développe dans "Gymnase et dressage" mais aussi très brièvement ici (mais le mieux serait encore de l'entendre en "vrai" en parler, je pense que c'est le plus complet) : http://edphenriquet.free.fr/french/frame.php?page=enseignement dans le bas, à l'endroit "Comment préparer votre stage?"
Cher Dominique Durand,
Il m’est difficile de ne pas répondre à votre réponse. On pourrait croire que vous m’avez mis dans l’embarras ou que votre propos m’a laissé sans voix.
S’il est un homme que j’ai beaucoup apprécié, moi aussi, c’était ce cher Jean d’Orgeix. Et vous n’êtes pas sans savoir que c’est sur son insistance que j’ai mis sur pied cette association. Nous étions d’accord sur beaucoup de points essentiels avec Jean, mais restions sur nos positions sur d’autres. Beaucoup moins essentiels je l’avoue. Sur la question des mains nous ne nous serions pas accordés. Et c’est sans aucune animosité et avec le sourire (absolument pas moqueur, mais amusé) que je continue le débat.
« Les mains » sont le dernier livre de Jean, posthume, et Nathalie, son épouse, me l’a fait parvenir avec une dédicace que Jean avait écrite quelque temps plus tôt. C’est avec émotion que je l’ai parcouru en détail. Je le conseille à ceux qui ne le connaitraient pas car il contient beaucoup de très bonnes choses.
Ce qui m’a souvent fait sourire ce sont les nombreuses références aux maîtres :L’Hotte, Baucher, Faverot, Beudant, Decarpentry, le Bon, Saint Fort Paillard et beaucoup d’autres, c'est-à-dire les pères de cette « équitation officielle » qu’il brocardait sans cesse. Un autre, Oliveira, plusieurs fois cité, avait beaucoup sa faveur. Un maître que j’ai eu la chance de côtoyer et avec lequel j’ai l’audace de me trouver en accord total.
Or que dit Oliveira sur un point que Jean récuse fortement comme étant une erreur absolue, à savoir le pouce fermé sur les rênes : « le petit doigt et l’annulaire peuvent céder, jamais le pouce » ( Notes sur l’enseignement de Nuno Oliveira – Crépin Leblond- Les aides p 19- Novembre 1979.
On pourrait trouver d’autres points de désaccords entre ces deux maîtres, mais cela me semble de peu d’intérêt. Tous deux emportent définitivement leur talent et leur notoriété dans la tombe.
Il serait par contre plus utile de réfléchir à une de leurs convictions sur laquelle ils s’accordaient tout à fait et qui m’apparaît comme plus importante ( j’espère que vous me le pardonnerez)
Dans l’avant dernière ligne de son livre JO écrit : « Une vieille expression résume ce climat nécessaire à la pratique de l’art équestre. Une main de fer dans un gant de velours ».
C’est la réponse en écho à Oliveira : « Vos mains doivent être de ciment si le cheval résiste » (P 18 du même ouvrage.)
Voilà qui pourrait troubler certains des adeptes de la légèreté que nous sommes tous ici. Et pourtant ils n’aborderaient pas celle-ci sous le bon angle s’ils n’en avaient pas vécu la signification et le bien fondé.
Amicalement. CC
Mon Colonel,
Avec autorité et élégance, vous avez exprimé tout haut ce que mon statut d'anonyme me retenait de dire. Moi aussi, j'étais "étonné" en lisant "Les mains" de JDO.
C'est la raison du "quatre-vingt-dix pour cent"(seulement) de mon précédent post.
Dans un ordre d'idée, il serait un peu réducteur de croire que Ph. Karl ne doit sa grande finesse qu'à la tenue des rênes "à la française".
Considérons le violoncelliste ou le guitariste de talent: La pression que son pouce gauche exerce derrière le manche nuit-elle à la nécessaire décontraction de sa main? C'est d'ailleurs, au début, toute la difficulté de ces instrument.
"Les seules forces nécessaires au mouvement envisagé", cette idée dépasse largement le domaine équestre et se retrouve dans toute activité humaine.
D'ailleurs cette notion de "légèreté universelle" à déjà été abordée ici, me semble-t-il.
Amicalement.
Cher Philippe,
Jean d'ORGEIX, comme vous le savez certainement, était un grand admirateur des principes de Baucher. J'ai d'aileurs eu des discussions passionantes avec lui sur le thème "Les principes de Baucher sont-ils adaptés à la préparation du cheval d'obstacle de haut niveau actuel?", car ce n'était pas évident pour moi.
Vous avez raison, Jean d'ORGEIX s'est intéressé à l'école Germanique car ses cavaliers avaient des résultats remarquables dans le domaine du saut d'obstacle. Il parle notamment d'Alwin Schockemohle, grand champion, qui travaillait avec les rênes très longues et les mains très basses, et Jean d'ORGEIX estimait que cette attitude "ronde et basse" favorisait la décontraction, mais au dépend du fait de pouvoir jouer de l'équilibrage. Néanmoins, Jean d'ORGEIX, esprit ouvert, admettait que pour atteindre le rassembler on pouvait partir de l'attitude ronde et basse (dans la décontraction)en relevant progressivement le cheval. Il privilégiait cependant la méthode consistant à partir d'un cheval haut, en le fermant progressivement, conformément aux principes de Baucher.
Jean d'ORGEIX voit dans le principe de la barrière (intervention de la main au troisième temps du galop), l'énorme avantage que le cheval est dans l'incapacité de mettre du poids dans les rênes et par conséquent qu'on peut le garder en équilibre avec 2 doigts. En fait, au galop, ce principe résulte directement de la fixité des mains du cavalier, compte tenu des mouvements de l'encolure.
Enfin, ne montant pratiquement pas en bride car je travaille mes chevaux d'obstacle en basse école très poussée uniquement en filet, je ne suis pas bien placé pour vous parler de l'action indirecte avec une bride. Mais je crois que Mme le webmaster présente un post précédant sur ce sujet. Cependant, les très rares fois où j'utilise des rênes allemandes (jamais tendues), je continue à travailler en action indirecte sur mes rênes de filet malgré la présence de 4 rênes dans les mains et la tenue du flot des rênes pour pouvoir changer en permanence la longueur de mes rênes afin de pouvoir travailler dans mon "volume".
Amicales salutations,
Dominique
Chère Christel,
Pour répondre à votre attente, le principe de l'action indirecte par du principe que pour ne pas travailler avec les épaules contractées, il faut d'une part, avoir les bras (membre reliant l'épaule au coude) tombant naturellement verticaux et les mains ouvertes. Il faut donc travailler avec les rênes suffisamment longues et d'autre part pouvoir tenir les rênes.
Jean d'ORGEIX conseille donc, non pas de tenir le pouce appuyé sur la rêne avec les mains fermées (ce qui engendre la contraction des bras et des épaules), mais de poser la rêne dans le creux existant entre la base du pouce et l'ensemble de la main restant ouverte. Il suffit de faire pivoter les mains de manière à ce qu'elles soient presque parallèles à la bouche du cheval, le pouce vers l'arrière, le tranchant de la main vers l'avant et les coudes écartés au besoin.
L'action sur la rêne se fait en pivotant l'avant bras, ce qui produit l'appui du tranchant de la main sur la rêne. Avec un cheval bien dressé on peut appuyer sur la rêne avec les doigts seulement.
L'action indirecte consiste donc à appuyer sur la rêne en dessous du point de tenue, la main restant ouverte et fixe. Cette technique, par rapport à la tenue des rênes classique, présente les avantages suivants:
- grande latitude d'action par rotation de l'avant bras en conservant la main fixe (et donc permettant d'agir sans tirer)
- épaules du cavalier contamment relaxées
- l'appui sur la rêne en dessous du point de tenue engendre une action sur la bouche du cheval complètement amortie et qui favorise prodigieusement la cession de nuque du cheval
Amicalement,
Dominique
Monsieur Durand, merci pour votre explication. Ce n'est pas sur le therme futile que je me suis arrêtée, mais sur la tournure générale du texte donc le mot futile m'a fait paraître un peu... comment dire... arrongant.
Difficile de juger sur un premier écrit (pour moi, ça l'était car relativement nouvelle sur le forum), et surtout par courtoisie, je ne vous ai pas écrit le fond de ma pensée ! Et tant mieux puisque je m'étais trompée.
Revenons sur le sujet de la main, qui pour moi est encore assez abstrait. Je suis pour le moment la doctrine que monsieur Cadre a sitée plus haut. Je me contente pour l'instant de la décontraction de tout le reste de mon corps et de l'utilisation de toutes les parties autres que jambes et mains, distinctement et bien séparées afin d'en découvrir les effets sur mes mains.
J'avoue que la tenue des rênes et ses effets préconisés par D'orgeix m'ont un beaucoup laissé perplexe, moi petite cavalière de dressage, jusqu'au jour où on m'a présenter plusieurs vidéos de cours donnés par le maître où il explique son enseignement en images. C'est alors que tout à pris un sens et je redécouvre aujourd'hui ses ouvrages avec un autre oeil.
Mais j'aurais probablement réagis de la sorte en lisant pour la première fois Philippe Karl, si je n'avais eu la chance d'avoir suivi un de ses stages avant de le lire.
A la mise en pratique, j'ai tenté souvent d'appliquer sa tenue de rênes, et j'avous avoir été bleuffée des premiers résultats. Mais je me suis toujours contentée d'appliquer celà quelques instants pour ensuite reprendre mes rênes plus classiquement une fois l'effet obtenu.
Un bon compromis entre les deux types de tenue peut-être intéressant et avoir une valeur pédagogique éducative pour les débutants ou les plus confirmés dans leurs recherches.