Juillet 2007 - Rubrique "Courrier" du magazine L'Eperon - Colonel Carde

Le jeu, 12/07/2007 - 12:00

   Rubrique "Courrier" du magazine L'Eperon de Juillet 2007      

 
Objection Votre Honneur !

Rien n’est plus normal pour une de nos plus sérieuses revues d’équitation de consacrer un long article à un couple phénomène du haut niveau de dressage. Qu’un jeune cavalier se hisse aux places d’honneur dans une confrontation mondiale, voilà qui est sympathique et mérite d’être mis en valeur.
Mais l’article « Matiné, mutine, féline, divine » du numéro de l’Eperon de juin me conduit cependant à faire quelques sérieuses réserves. Et si je les fais, c’est parce que je suis convaincu que l’avenir du dressage sera assuré s’il suit la ligne académique qu’on lui a fixé à l’origine, s’il satisfait à une exigence : respecter la règle du jeu. Cette règle, c’est le règlement international de dressage de la FEI.

Or, dans ce registre, l’équitation académique est malmenée par l’illustration de la page 27 de l’article en question. Il est vrai qu’il est difficile de faire parler une photographie. Alors, on apportera les réserves que l’on voudra à ce qui suit. Mais, ce que cette photo montre est cependant tout le contraire de ce qui est souhaité ou devrait l’être.
La jument est au passage, sur les épaules, ouverte dans sa base de sustentation, les jarrets loin. Elle fouaille de la queue. Le cavalier a le genou serré, le bas de jambe trop reculé. Les rênes sont très tendues. Quant à la salivation, on ne sait si elle est la conséquence de la contraction de la mâchoire ou de sa décontraction.

Je me suis élevé en son temps contre un score qui a ignoré les fouaillements de queue, cette résistance caractérisée. Si le cheval est heureux, m’a-t-il été répondu, il ne faut pas ou peu en tenir compte. Est-ce bien sérieux ? « Tel un chat concentré sur son jouet, elle fouaille de la queue » peut-on lire dans l’article. En somme, elle fouaille de plaisir. Dans ce contexte, l’anthropomorphisme le dispute à la subjectivité. Et, il va falloir que les juges apprécient si les oscillations paroxystiques de la queue sont signes de résistance ou de joie. Je leur souhaite bien du plaisir ! Et l’article 416-2-1 qui les condamne, qu’en fait-on ?
Ceci ne perturbe en rien le cavalier de Matiné. Il déclare tout de go que les juges s’habituent aux fouaillements de sa jument. Ben voyons ! Est-ce aux juges à se faire aux défauts des concurrents ou aux concurrents à rester dans le droit fil de la règle ?
Plus sérieux encore : le mot « harmonie » est écrit ou suggéré 5 fois dans l’article 401. Mais que se dégage-t-il d’harmonieux de cette photographie ?

Le danger serait que l’œil du spectateur, du juge, du cavalier ( surtout jeune) se fasse à ce qui est faux en croyant que c’est juste. On ne pourrait pas imaginer pire dérive.
Alors, bravo à cette nouvelle étoile qui a su créer l’émotion et l’admiration des foules, mais n’oublions pas qu’à privilégier le spectaculaire sur la qualité de l’équitation, le dressage de haut niveau court un grand risque.
Qu’il nous soit permis de mettre en garde une fois encore.

Colonel Christian Carde
Président d’Allège-Ideal