Avec :
- Ludovic Orlando Directeur de recherche au CNRS, directeur du Centre d'Anthropobiologie et de Génomique de Toulouse (CNRS et de l'Université de Toulouse III Paul Sabatier).
- Valérie Chansigaud Historienne des sciences et de l'environnement
Article Provenant du podcast La Terre au carré France Inter du 04/04/2023
Le cheval est l’un des derniers grands mammifères que nous ayons réussi à domestiquer, il y a 4 200 ans. Il n’y a pas si longtemps le cheval était central dans notre société. Ils sont aujourd’hui 60 millions de par le monde. À quand remonte précisément leur domestication ?
C'est l'histoire d'un animal qui a joué un rôle majeur pour notre espèce Homo sapiens. Lorsque les hommes commencent à le domestiquer, il y a plus de 4 000 ans, ils ne savent pas encore que cet équidé va révolutionner le fonctionnement des sociétés en leur permettant de se déplacer sur de longues distances et d'échanger des biens, des informations et des gènes. C'est l'économie, la culture et la génétique du monde qui va s'en trouver bouleversée.
On compte 60 millions de chevaux sauvages et domestiques aujourd'hui dont près d’un quart en Amérique du Nord, et la Mongolie est le pays qui compte plus de chevaux que d’habitants. Quand les seuls chevaux considérés jusqu'à il y a peu de temps comme les derniers chevaux sauvages au monde (les chevaux de Przewalski) ne sont pas plus de 2000 aujourd'hui, passés à côté de l'extinction, déclarés éteints à l'état sauvage en 1969. Ils sont la descendance captive d'à peine 12 à 15 individus fondateurs.
En Occident, le cheval est devenu l’instrument quasi-exclusif des industries de loisirs et de sport. Comment expliquer cette évolution ? Comment expliquer ce rapport sensible que les humains entretiennent avec le cheval et à quand remonte-t-il ? D'où vient notre cheval moderne et d'où vient le cheval de Przewalski, dernier cheval dit sauvage ? Quelle est l'origine du cheval domestique et pourquoi il a changé le destin de l'humanité ?
Ludovic Orlando nous répond dans son livre "La conquête du cheval, une histoire génétique" (Odile Jacob). Le paléo-généticien signe une véritable enquête sur la place du cheval domestique dans les civilisations. Ludovic Orlando remonte les généalogies et le cours de l’histoire, pour aller aux origines du cheval, par le truchement du message inscrit dans ses gènes. Il remonte les généalogies et le cours de l’histoire, pour retrouver les origines du cheval, en décryptant le message inscrit dans les gènes, l'ADN de ces êtres vivants tels qu'ils vivaient dans le passé afin de révéler leur mode d'existence à plusieurs époques différentes, décrypter l'écologie de l'espèce et ce qui s'est passé génétiquement pour que cet animal sauvage soit susceptible d'être domestiqué par l'humain et devenir son compagnon le plus intime aujourd'hui.
Où se trouve le berceau de la domestication du cheval ?
Fausse piste au Kazakhstan : là où serait né le dernier cheval aux gènes sauvages
C'est l'archéologie qui a donné leurs premières pistes aux paléo-généticiens puisque ça faisait longtemps qu'un site au Kazakhstan – où vivait le peuple Botaïl il y a 5 500 ans — était suspecté d'être le foyer de la domestication du cheval. Parmi les milliers d'ossements d'animaux exhumés, le chercheur nous apprend que "presque 100 % d'entre eux appartenaient à des chevaux, c'est la trace d'une humanité qui avait basé son économie sédentaire sur l'exploitation du cheval". Toutefois, la bascule génétique qui s'est opérée chez le cheval – qui fait que de l'état sauvage, il est devenu potentiellement domestique – ne se serait pas faite sur ce site-là "si c'est bien là que se trouvait l'équidé domestique qui a donné naissance à la dernière race de chevaux sauvages (Przewalski), que c'est au botaïl que le supposé dernier cheval sauvage sur Terre est né, ce n'est pas là que la domestication s'est effectuée".
Nord-Caucase : Foyer des premières domestications du cheval
Ce cheval semi-sauvage originel (le Przewalski) était un bien plus petit cheval que celui que nous connaissons aujourd'hui, donc il fallait aller chercher ailleurs en Eurasie, souligne le paléo-généticien : "il fallait aller chercher dans les steppes du Nord-Caucase, entre la mer Noire et la mer Caspienne. C'est entre – 4000 – 5000 que la domestication se serait effectuée. En effet, le type génétique que l'on retrouve chez tous les chevaux domestiques aujourd'hui apparaît il y a 4 200 ans dans cette localité. Ce n'était pas un animal de vitesse, de contact entre les peuples à l'époque, mais un animal très casanier qui ne se déplaçait jamais sur de très longues distances".
L'évolution du cheval liée à une sélection naturelle influencée par l'humain
En filtrant les gènes similaires de la plupart de ces premiers chevaux domestiqués, le chercheur nous apprend que deux gènes centraux se sont dégagés et auraient conditionné biologiquement leur prédisposition à la domestication. Autrement dit, le chercheur révèle que cette domestication par les gènes s'explique par une sélection par l'homme qui aurait permis de disposer d'animaux moins agressifs, qui puissent facilement transporter les humains : "L'un de ces deux gènes intervient dans l'anxiété et dans l'agressivité, participe au comportement des animaux et sa domestication facilitée. L'autre intervient dans la robustesse de l'anatomie du dos. Les éleveurs de l'époque ont donc sélectionné des versions qui naturellement leur rendaient la vie facile à interagir avec le cheval".
Sans les chevaux, les humains ne seraient absolument rien du tout
Le cheval aura donc bel et bien écrit l'histoire humaine, à tel point que l'on peut considérer qu'il y a un avant et un après cheval. Durant la transition entre le Néolithique et le début de l'âge de bronze, il y a 4 000 ans, le cheval a joué le rôle d'un agent de communication révolutionnaire pour les humains et en très peu de temps ! Ludovic Orlando souligne ainsi que "dans le rôle sociétal des humains, le cheval a fait œuvre d'innovation, il a joué un rôle catalyseur de nouveaux modes de pensée, de nouvelles hiérarchies du monde. À tel point que des historiens divisent le temps dans le passé, non pas comme "âge du cuivre, du bronze et du fer", mais plutôt comme "l'âge d'avant les chevaux et d'après les chevaux". Il faut bien s'imaginer qu'une fois qu'on s'est mis à domestiquer le cheval, on allait non seulement beaucoup plus vite, mais nos langues, nos cultures, nos religions, nos germes se déplaçaient également plus vite. Grâce à lui, notre économie est devenue globale et la géopolitique du monde a été révolutionnée sans commune mesure. C'est le seul animal qui a servi de véhicule à l'humanité, pouvant atteindre des vitesses prodigieuses. C'est un vrai moteur biotechnologique qui a favorisé l'accélération des échanges humains et la conquête globale de la Terre. Si on enlève le cheval de l'équation, c'est peut-être l'histoire qu'il aurait fallu réécrire".
L'ancêtre du cheval
La famille des Équidés contient parmi elle le genre Equus (réunissant les chevaux, les ânes, les zèbres) et elle émerge il y a 65 millions d'années en Amérique du Nord. De nombreuses lignées de ce genre émergent, d'autres disparaissent et il faut remonter à 4 millions d'années pour retrouver l'ancêtre direct des chevaux domestiques, héritiers d'une seule lignée du genre Equus qui a foisonné plus longtemps : la lignée Equus ferus cabalus.
On en parle avec
Ludovic Orlando, paléogénéticien, directeur de recherche au CNRS, médaillé d’argent, il dirige le centre d’anthropobiologie et de génomique de Toulouse.
Auteur de « La conquête du cheval, une histoire génétique », chez Odile Jacob