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Prière à Pégase

2 replies [Last post]
CHABILLON Alain
Offline
Joined: 17/03/2006

- Pégase, ô divin Pégase, à l’heure où l’on prône une Equitation qui fasse du Cheval un « athlète heureux », il est opportun de relire les lignes que, dans L’Eperon de décembre 1992, le colonel de Ladoucette consacrait au spectacle enchanteur offert cinq ans plus tôt par le cheval Corlandus à Bremen : « Durant toute la reprise, le cheval se tient seul, la cavalière n’y touche pas. Quel régal. Son passage, son piaffer, ses pirouettes au galop. Eblouissant. Majesté, légèreté, cadence. On n’a pas fait mieux depuis trente ans ». Le Colonel faisait ensuite la comparaison avec un autre cheval, Alherich du docteur Klimke : « Corlandus se tient seul, alors qu’Alherich se tient parce qu’il est tenu », pour conclure avec ce constat laconique : « Deux conceptions de l’Equitation ».
- Pégase, ô divin Pégase, vois comme aujourd’hui c’est la moins bonne des deux conceptions qui est la plus communément adoptée, bien qu’elle n’ait guère pour souci majeur le bonheur de l’athlète et recoure à un dressage agressif, dirigiste, oppressif. (Les femmes semblent se mettre à l’école des mâles, certaines châtiant avec la même imbécillité… O tempora !… O mores !… ). Tes prêtres ou plutôt ceux qui passent pour tels professent une conception mécaniciste, purement spéculative de l’animal qui le réduit à l’état de robot animé, enfermant l’être vivant dans un ensemble schématique de forces, de formes, d’attitudes imposées plus par des considérations abstraites que par l‘amour. Leurs savantes théories ne tiennent pas compte de la réalité chevaline dont toi, ô divin Pégase, tu es l’image sublimée, toi le Cheval ailé, serviteur des Muses, toi la Source jaillissante comme le dit ton nom grec, toi dont le sabot fit sourdre Hippocrène, la Source-Cheval à laquelle s’enivrent les Poètes.
Le cheval, cet animal fabuleux, est fait pour enchanter les mortels que nous sommes mais il lui faut d’abord être heureux. Pégase, ô divin Pégase, fais-nous prendre conscience de notre erreur en voulant dresser ( terme péjoratif, s‘il en est), alors qu’il s’agit d’éduquer ce gamin à crinière, déconneur-né, épris de liberté, fantaisiste, curieux de tout, sensible, aimant faire le beau et se faire plaisir, impétueux donc jouissant d’une merveilleuse gaieté que Homère, il y a trois mille ans, célébrait en évoquant un cheval qui, gavé d’orge mais gardé à l’écurie alors qu’il a l’habitude de se baigner dans les belles eaux du fleuve, rompt son licol et prend la clé des champs, remplissant l’espace du bruit de ses battues. Il fait le beau, il porte haut la tête, sa crinière flotte d’une épaule à l’autre et, confiant dans sa beauté, il fonce à longues et prestes foulées vers les prairies où les juments ont l’habitude de paître (Iliade, chant VI).
Si le cheval n’est heureux qu’en liberté, comment alors sauvegarder cette gaieté naturelle quand il est harnaché, monté et enfermé dans le cadre étroit du manège ? La réponse, Pégase, ô divin Pégase, se laisse deviner dans le portrait, que tu as sans nul doute inspiré, de la Guérinière posant au piaffer pour la postérité. Le Maître offre à qui le contemple un visage exemplaire pour sa douceur bonhomme, pour son calme, pour la sérénité qui accompagne la satisfaction du travail bien fait. Il ne sourit pas, il fait mieux tant son visage rayonne. Quant au Cheval, impeccablement droit, il tourne vers le spectateur l’œil malicieux du type qui se marre en douce pour dire : « Qu’est-ce que vous croyez ? Le patron, c’est moi… ». La peinture de ce couple « heureux » devrait hanter nos esprits et nous débarrasser à jamais de la si triste figure que nous faisons dès l’entrée de la Carrière.
- O divin Pégase, fais que nous souriions au piaffer!

Sandra Mesrine
Offline
Joined: 29/07/2009

Ah! c'est parfaitement dit!

Sandra Mesrine

Christopher Cunningham
Offline
Joined: 24/06/2007

Merci Alain pour ces belles lignes qui mériteraient d'être mise en dossier.

Plus bêtement:

Je suis toujours ému de retour au box par la gentillesse et les câlins de mon bougre, malgré mes maladresses commises en selles. J'en suis presque honteux.

Beaucoup d'humains me décalqueraient contre le mur du box en rétribution d'une faute de main, d'assiette ou d'éperon.

Le cheval demeure un merveilleux professeur d'amour...

CC