Le président d'honneur de l'association a suivi avec attention les Championnats d'Europe de dressage à Aix la Chapelle. Il livre ici ses impressions sur le jugement, et sur l'importance d'une meilleure prise en compte des fondamentaux équestres tels qu'ils sont précisés dans le règlement FEI.
Sur la piste comme cavalier, puis, plus tard, comme entraîneur national de Dressage de mon pays, j’ai eu le plaisir et l’honneur de participer au CDIO d’Aix Chapelle. C’était le plus beau concours de Dressage organisé en Europe. On y rencontrait les meilleurs cavaliers du monde, les meilleurs juges. Il y régnait la meilleure ambiance de camaraderie entre les concurrents. Les juges y étaient respectés ; ils n’étaient pas contestés. Le public était enthousiaste. Cette compétition faisait honneur au pays qui l’organisait et contribuait magnifiquement à la promotion du Dressage.
Cette année, lors des championnats d’Europe, le public a sifflé les juges ! Il les a sifflés en plusieurs occasions. Quand les scores de charlotte Dujardin ont été annoncés; il les a sifflés aussi lors de la remise des prix quand le speaker les a remerciés. C’est la première fois que ceci se produit, c’est grave.
Quand les arbitres sont blâmés c’est qu’on les suspecte d’incompétence ou de parti pris, ce qui est une forme de tricherie.
Mais cela s’explique et nous en connaissons raisons. Les voici :
Comme le stipule l’article 419 du règlement de Dressage FEI la compétition internationale, dans cette discipline, ambitionne de préserver l’art équestre. Or elle ne joue plus ce rôle essentiel, celui pour lequel elle a été fondée.
La compétition internationale a généré un grand business qui brasse des sommes d’argent considérables. Elle est devenue un métier dans lequel beaucoup font carrière .Le cheval en est le moyen quand il n’en est pas la victime. La transmission de l’art équestre n’en est plus la raison d’être.
Depuis plusieurs années déjà les cavaliers qui se passionnent pour la préservation des principes classiques dans la compétition ont souligné les dérives qui entachaient les épreuves de haut niveau. A eux se sont joints des vétérinaires, des groupes de réflexion scientifique comme l’ISES, et des associations de protection des animaux. La FEI n’a pas voulu les entendre.
Ainsi la grogne qui ne cesse pas contre ce qu’on appelle le Roll Kur a donné lieu à un médiocre compromis. Et, à Aix, un des premiers athlètes de la ranking list a-t-il longuement détendu son cheval dans cette posture très contraignante, si contestée. Le soir même une nouvelle pétition était lancée contre le Roll kur sur les réseaux sociaux. Elle recueillait plus de 10.000 signatures en 48 heures. Un désaveu pour la FEI.
Et que dire lorsque ce même cavalier est éliminé parce que son cheval saigne de la bouche ! Lorsqu’un autre parmi les plus titrés abandonne parce que son cheval a passé la langue par-dessus le mors et rétive dans un piaffer.
Il y a peu de temps le cheval de celle qui avait dominé les épreuves de Dressage d’Aix La Chapelle s’était emballé devant des milliers de spectateurs stupéfiés. Sa cavalière avait dû emprunter un cheval pour la remise des prix. Dans une épreuve dite de…dressage !
Mais surtout, depuis des années, les moyennes ont augmenté quand la qualité de l’équitation ne suivait pas. Quand la pratique équestre s’est progressivement éloignée des canons de l’équitation juste, celle qui figure encore dans le règlement de la FEI.
C’est en très grand nombre qu’on peut voir des arrêts sur les épaules, des reculers sur les épaules et précipités, des piaffers sur les épaules avec des chevaux qui avancent d’un ou plusieurs mètres dans cet air, incapables de donner, sur place, les quinze pas demandés, des allongements du trot avec des chevaux qui étendent les antérieurs plus qu’ils ne gagnent du terrain. Ce sont les signes tangibles des entorses à la belle et bonne équitation.
Mais aussi ces attitudes peu harmonieuses de chevaux mécanisés, aux bouches douloureusement fermées par des muserolles bloquées, exagérément ramenés (overbent) et tenus sur des rênes très fortement tendues. Ce qui n’a rien à voir avec le contact léger et élastique tel qu’il devrait être et tel qu’il est préconisé dans les articles 401, 416 et 417 du règlement.
Et lorsqu’il y a un si grand décalage entre le règlement et ce qui est produit sur le terrain, mais aussi entre les classements par juges comme c’est actuellement le cas, (Totilas était jugé de la 3ème à la 20ème place dans le grand Prix) il ne faut pas s’étonner que le jugement pose sérieusement problème.
La FEI a eu beau augmenter le nombre des juges de 5 à 7 dans les grandes épreuves, et y ajouter les 3 juges du JSP, cela n’a pas amélioré la situation. Faudra-t-il mettre 15 juges autour du rectangle pour que le jugement soit plus convaincant ? Sans doute pas.
Le Dressage de haut niveau est en danger et avec lui c’est toute l’équitation puisque les concours sont censés montrer l’équitation juste dans sa plus belle expression et conduire ainsi le développement de la discipline dans le bon sens.
Déjà, lors de la préparation des JO de Pékin, le président du CIO avait hésité à programmer les épreuves de Dressage. Après les JO la présidente de la FEI a dissous la commission de Dressage pour mettre en place un groupe de travail censé préparer des jours meilleurs. A-t-il réussi ?
Il est temps de revenir aux fondamentaux de l’art équestre dans la façon de travailler et de présenter les chevaux. Ils se trouvent parfaitement exprimés dans le règlement de Dressage de la FEI, notamment dans son article 401. Il suffit d’en prendre connaissance, de les comprendre et de les appliquer.
Mais il faut aussi revoir en profondeur la question du jugement. Envisager sa modification de façon plus scientifique, moins subjective, en s’appuyant tant sur le règlement actuel que sur les résultats de la recherche. Les considérables possibilités qu’offre maintenant le traitement des images par l’informatique y contribueront largement.
Même si nous avons pu y voir de la bonne équitation correctement récompensée, Aix La Chapelle est un sérieux avertissement qu’on ne doit pas négliger.
Il est heureux que les juges continuent à récompenser le travail juste, mais pour que soit mis de nouveau le Dressage sur de bons rails il est indispensable qu’ils arrêtent de bien noter, en même temps, la mauvaise équitation.
Christian Carde Août 2015