Evaluer les mouvements de la colonne vertébrale (rachis) du cavalier permet de déterminer quelles sont les stratégies adoptées par celui-ci pour amortir les contraintes induites par le cheval et vérifier si l’équitation peut entraîner des postures à risque pour le rachis, pouvant provoquer l’apparition de lombalgies.

De l’antiquité au XIXème siècle, de nombreuses vertus étaient prêtées à l’équitation tant sur le plan physique que psychique. Elle était ainsi conseillée pour guérir et surtout pour prévenir de nombreuses pathologies. Aujourd’hui, l’équitation est souvent perçue comme un sport néfaste pour le dos qui provoquerait des lombalgies dues aux chocs répétés sur la selle et à la position en hyperlordose*.
La problématique de ce travail était de savoir si le cavalier est capable de développer des réponses posturales au niveau du rachis pour économiser son dos. Pour cela, l’ONERA (Office National d’Etudes et de Recherches Aérospatiales) a utilisé une méthode de mesure optique des déplacements du rachis non intrusive par inter corrélation d’images.

lombalgie1Prévalence des lombalgies chez les cavaliers

La lombalgie (douleurs lombaires) est le « mal du siècle » : 80 % des gens ont eu, ont, ou auront des lombalgies.
Chez le cavalier, les lombalgies aiguës sont rares et les lombalgies communes ont une prévalence de 45 à 65 % selon les études. Comme dans de nombreux sports, le pourcentage de lombalgies communes augmente en fonction de l’intensité de la pratique et environ 40 % des cavaliers amateurs qui montent moins de trois heures par jour ont des douleurs lombaires contre 70 % chez les cavaliers qui montent plus de 5 heures par jour. Néanmoins, 60 % des cavaliers présentant des lombalgies déclarent observer une diminution voire une disparition de leurs douleurs lorsqu’ils sont à cheval.

Méthode

Les mesures ont été réalisées sur quatre personnes : un cavalier professionnel, une cavalière amateur confirmée, un cavalier de loisirs, un non cavalier. Pour des raisons pratiques, l’expérience a été menée en utilisant le cheval mécanique préparateur physique à l’équitation de Peteris Klavins.

La méthode d’inter corrélation d’images permet de travailler sur plusieurs centaines de milliers de points, et d’obtenir une très bonne précision des mesures. L’utilisation de deux caméras montées sur un banc stéréoscopique permet de fi lmer la scène en profi tant de l’effet profondeur de champ. Les deux caméras sont synchronisées entre elles et prennent chacune l’image de la scène au même instant et pendant le même temps d’ouverture. Le protocole d’alignement et d’étalonnage permet de recaler parfaitement pixel à pixel chaque image. Les données sont ensuite analysées dans les trois directions (Figure 1) :

? X : déplacement frontal (droite/gauche), positif vers la droite
? Y : déplacement vertical, positif vers le haut
? Z : déplacement sagittal (avant/arrière), positif vers l’arrière

Les mesures sont réalisées sur l’ensemble du rachis dorsolombaire ainsi que sur la partie supérieure du sacrum et la partie inférieure des cervicales (de C6 à S2) avec une précision de 50μm.

lombalgie2Résultats obtenus chez les cavaliers

Selon X (droite/gauche), on observe une très grande stabilité du bassin et un amortissement au niveau lombaire bas pour assurer la stabilité des épaules.
Selon Y (vertical), l’analyse des amplitudes lors de la montée du simulateur (figure 2) montre un déplacement plus important au niveau des extrémités du rachis, ce qui signifie que leur mouvement n’est pas uniquement dû à l’élévation du simulateur, mais qu’il existe un mouvement de redressement du bassin et des épaules. En revanche, l’élévation du milieu du rachis est inférieure à celle du simulateur. Les mouvements observés aux extrémités du rachis permettent donc de minimiser les « rebonds » du cavalier sur la selle.
Selon Z (avant/arrière), il se produit une orizontalisation (antéversion) du sacrum et un déplacement en lordose (cambrure) de la colonne lombaire lors de l’élévation du simulateur ; une verticalisation du sacrum (rétroversion) ainsi qu’une délordose lors de sa descente, ce qui permet d’absorber les chocs verticaux. Néanmoins, chez les cavaliers observés, les variations de courbures mesurées au niveau lombaire n’excédent jamais les courbures physiologiques et les épaules restent fixes.

Equitation et lombalgies

Le cavalier est donc capable d’amortir les contraintes produites par les mouvements du cheval tout en protégeant son dos de postures anti-physiologiques contraignantes. Cela se fait grâce à une succession d’antéversion et de rétroversion du bassin et par un auto grandissement qui empêche le tronc de s’affaisser en fl exion. Lors de l’abaissement du dos du cheval, le cavalier amortit le choc en effectuant une légère rétroversion ce qui entraîne un effacement de la lordose lombaire. Dans cette position, les disques intervertébraux s’horizontalisent, les contraintes s’exercent donc principalement en compression, force qu’ils absorbent plus facilement que des contraintes en cisaillement. Lors de l’élévation du dos du cheval, le bassin du cavalier revient en antéversion.
La bascule du bassin nécessite néanmoins un contrôle permanent (musculaire) afi n qu’il ne soit pas mobilisé dans des amplitudes trop importantes qui seraient néfastes pour le rachis. La stabilisation de l’axe permet d’acquérir l’indépendance des aides. On a donc une organisation centrale de la posture, et le cavalier est capable d’adapter constamment sa posture aux mouvements du cheval et de son propre corps.

Conclusion

L’inter corrélation d’images permet de mesurer précisément our tous les points du dos : les déplacements, les déformations, et leurs vitesse et accélération, lors du mouvement et ceci dans les trois directions.
Les premières observations tendent à montrer que les cavaliers développent une réponse posturale au niveau du rachis leur permettant d’amortir les contraintes tout en évitant les postures traumatiques. L’analyse des structures mises en jeu montre que ce sport, contrairement aux apparences, pourrait avoir de nombreux bénéfices au niveau du développement rachidien et constituer une méthode de rééducation de certaines dysfonctions rachidiennes. L’équitation ne serait donc pas un danger pour le rachis. Elle pourrait même être un bon moyen de rééducation des lombalgiques. Certains médecins et kinésithérapeutes l’ont bien compris en utilisant ce sport avec leurs jeunes patients souffrant de paralysie cérébrale afin d’augmenter le tonus des érecteurs du rachis et d’améliorer la posture de ces enfants. Il serait donc dommage de se priver des bénéfices de ce sport en se basant sur des préjugés.

 Résumé par Marion CRESSENT, Ifce

Auteurs

Article original intitulé « Pré - étude biomécanique du rachis du cavalier » par : Charlotte GILBERT, IFMK, Berck sur Mer ; Julien GOUZ, Ecuries J. G., Rang du Fliers ; Dr Sophie BIAU, ENE Saumur ; CES Christian ROQUET, ENE Saumur ; Jacky FABIS, ONERA Lille ; Dr Bruno LEPORCQ, ONERA Palaiseau. équ'idée - n° 81 - hiver 2012